mercredi 28 janvier 2015

"...Più nessuno mi porterà nel Sud"


"Ce blog nait humble, pauvre. Et son ambition est de le rester : pauvre de moyens, mais riche de contenus et d’échanges. Inspiré par l’œuvre et la figure de Manuel Vázquez Montalbán, modèle d’éclectisme érudit – à l’opposé, toutefois, de l’aristocratie intellectuelle propre aux Illuminati, qui décident du sort du monde. Exemple aussi d’engagement, politique et journalistique, avec la tâche colossale de rendre, contre modes et marées, sa dignité à la culture populaire : du puchero[1] au football, des proverbes à la nuit des bonneteurs et des dealers, de la brillantine au cinéma matinal, du macho congénital à l’odeur de cendre froide des œuvres littéraires universelles, du « Cara al Sol »[2] au groupe de presse PRISA, de « L’Internationale » au Pacte de la Moncloa[3], de la pose au désenchantement, des murs d’une cellule à la décoration d’intérieurs[4]. Sans oublier sa vision de la ville, authentique et chaotique creuset de personnages authentiques, brillamment dépeinte dans la série des Carvalho. Déférence également à sa critique littéraire et sociale, d’autant plus mordante qu'indissociable, particulièrement juste dans sa dénonciation de l’olympisation (ce que nous appelons aujourd’hui la « gentrification ») d’une Barcelone qui a mis son être à l’égout, étouffé la palpitation citadine qui la fondait, pour devenir « la plus grande boutique du monde »[5]. Bref, pour citer un ami, Vázquez Montalbán a tout d’un « vertueux débris ». Débris que nous utiliserons comme boussole ivre.
Où allons-nous ? Nulle part. Nous voulons rester ici, avec les nôtres. Nous voulons que tout ce que nous partageons – nous qui ne survolons pas la vie des autres –, ce qui appartient à tous, passe au premier plan. Nous voulons dégager le superflu, ôter la couche de poussière et faire étinceler ce qui nous définit. Ce ne sont pas Facebook, la pop anglaise, La Sexta Noche[6], la biographie de Steve Jobs, ni les fringues Desigual qui nous unissent. Le (faux) Vieux Port de Barcelone, les start-ups de Puerto Madero à Buenos Aires, les vitrines de Fuencarral à Madrid, les prix flambants du Kreuzberg berlinois et les bars hipsters de Pigalle peuvent aller se faire foutre. Nous nous habillerons mal sans écouter le dernier cri. Personne ne nous empêchera de lire toute la nuit, ni de rêver aux mers du Sud au beau milieu de l’hiver."







[1] « Marmite » : plat mijoté dont la composition varie selon les régions d’Espagne et les pays d’Amérique Latine.
[2] « Face au soleil » : hymne de la phalange espagnole, un des emblèmes du franquisme.
[3] Un des accords économico-politiques de la transition démocratique espagnole, signé en 1977 entre gouvernement, partis politiques et syndicats.
[4] Quelques essais et œuvres culinaires de Manuel Vázquez Montalbán ont été traduits en français, notamment : Manifeste subnormal (Christian Bourgois, 1994), Happy-End (Complexe, 1990), Les Recettes de Carvalho (Christian Bourgois, 1996, 2013) et Recettes immorales (Le Mascaret, 1988 ; L’Épure, 2004). En espagnol et en catalan, voir : Crónica sentimental de España, Barça Barça!, Antologia de la Nova Cançó catalana, Crónica sentimental de la Transición, L'art de menjar a Catalunya, Decàleg del culé, Contra los gourmets, Cien años de canción y Music Hall.
[5] Voir l’ouvrage traduit en français sous le titre Barcelones (Le Seuil, 2002), ainsi que Le Désir de mémoire. Entretien avec Georges Tyras (Paroles d’aube, 1997). En espagnol : La literatura en la construcción de la ciudad democrática, La palabra libre en la ciudad libreGeometrías de la Memoria.
[6] Émission d’actualité de la télévision espagnole, depuis 2013.